"The Tripods" (français)

"Les Tripodes (The Tripods) est une série télévisée en coproduction Royaume-Uni et Australie en 25 épisodes de 30 minutes, adaptée de la série de romans de John Christopher, et diffusée entre le 15 septembre 1984 et le 23 novembre 1985 sur BBC et Seven Network.

En France, la série a été diffusée à partir du 13 mars 1985 dans Cabou Cadin sur Canal+. Rediffusion dans Croque-vacances sur TF1."

(Wikipédia)

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"Les Tripodes, des géantes machines d'acier à trois pattes, ont envahi la Terre autour de l'an 2000, détruisant quasiment toute les civilisations. En 2193, les humains survivants, sous l'autorité des Tripodes, sont revenus à une vie quasi féodale, où toute technologie a disparu. La Nature a repris ses droits, effaçant les traces du lointain passé où les hommes étaient les maîtres de la Terre.

Tous les jeunes, lorsqu'ils atteignent 16 ans, se voient initiés : emmenés à l'intérieur d'un Tripode, on leur greffe une sorte de broche métallique sur le crâne, leur ôtant ainsi une grande partie de leur personnalité. Une sorte d'avilissement qui les rend passifs. Ainsi est la société imposée par les Tripodes : une domination en échange d'une paix où les hommes n'entrent plus en conflits les uns contre les autres. Une fausse liberté où les hommes sont protégés, mais asservis.

Mais certains hommes ont réussi a échapper à l'initiation. Appelés les intouchables, ils vivent cachés des Tripodes. C'est en rencontrant l'un de ces intouchables que Will et Henry Parker, deux jeunes anglais cousins germains sur le point d'être initiés, décident de s'enfuir. Ils apprennent notamment qu'il existe en France un lieu appelé les Montagnes Blanches, qui serait non conquis par les Tripodes, point de ralliement des hommes libres. Un long voyage dangereux commence pour les deux jeunes garçons, vite rejoints par un troisième du nom de Beanpole..."

(Planète Jeunesse)

Comme un certain nombre d'enfants des années 80, j'ai découvert The Tripods au cours de sa courte diffusion française dans l'émission Croque-vacances sur TF1 en 1987. J'ai du en voir, en réalité, deux ou trois épisodes à l'époque, pas plus, mais au cours des décennies qui ont suivi, jamais je n'ai oublié l'effet terrible, immense, définitif, que cette série a eu mon imaginaire et ma façon de voir le monde.

La première image de toute la série est celle-ci : un village paisible, immobile, au bord de l'eau. Un décor de la bonne vieille Europe, une scène du monde d'autrefois, pré-industriel et idyllique. Et pourtant il y a cette date : 2089. Une vision étonnante du futur, à l'époque de Blade Runner. L'avenir, ici, est vert, décroissant, sobre. La modernité n'aurait-elle été qu'une parenthèse ? Aurait-on retrouvé le sens d'une vie simple, lente, à petite échelle, et communautaire ?

Le village semble se préparer à une fête, comme un mariage. Tout le monde est sur son trente et un et les vêtements contemporains se mêlent à d'autres qui semblent surgis de deux ou trois siècles auparavant, ou d'un folklore immémorial ; ici aussi on semble sorti du temps, sorti de l'Histoire. Tout cohabite et coexiste. La date officielle n'a plus de sens. D'ailleurs est-on réellement sûr d'être en 2089 ?

Note en passant : l'image de la série est marquée par ce flou artistique, cette image cotonneuse typique de l'époque (et typique de l'Angleterre plus particulièrement, peut-être) que l'on retrouve par exemple dans les vieux clips de Kate Bush ou dans des films comme La Compagnie des Loups de Neil Jordan. Cette qualité d'image nous indique que nous nous trouvons dans un pur rêve, un délire. Car la société paisible, simple, éternelle, que nous avons sous les yeux, n'est qu'un mensonge.

Un monstre de métal s'invite à la petite fête villageoise, et emporte un des habitants dans ses entrailles pour le restituer quelques temps après, le front marqué par un implant électronique. Tout les habitants lui serrent la main et la fête peut commencer sur de délicieuses ritournelles folkloriques au Dx7.

On comprend, un peu plus tard, que le monde a subi une gigantesque entreprise de destruction et de dépeuplement, et que les habitants de ce village font partie des quelques communautés humaines à qui les envahisseurs ont laissé le droit de vivre.

Il a fallu quelques décennies, quelques événements-clé et de nombreuses lectures pour que je comprenne que le monde dans lequel vivent les braves paysans anglais de l'an 2089 est le nôtre.

C'est le monde de la Technique qui domine et exploite le monde, la nature et les peuples. Qui épuise les ressources comme le ferait une espèce hostile venue piller la Terre. Qui plie les corps et les âmes à sa volonté.

Qui réduit tout à l'état de choses quantifiables et qui entreprend depuis quelques décennies la modification du vivant lui-même, humanité incluse, pour établir définitivement son emprise.

C'est le monde de la Technique – et de ses maîtres – qui nous dominent depuis leurs hauteurs (symbolisées par celle du robot, dans la série) où ils se rendent inatteignables, invulnérables. Maîtres qui nous surveillent et nous connaîssent mieux que nous nous connaissons, depuis leurs hauteurs.

Tout le monde connaît ce vieux tube, The Safety Dance, qui est plus ou moins le seul morceau passé à la postérité de Men Without Hats, et dont le clip est à peu près aussi culte.

On y voit le chanteur du groupe se balader dans une campagne qu'on suppose anglaise, accompagné d'un nain déguisé en bouffon, et entrer dans un village typiquement médiéval où une jolie blonde un peu fofolle se joint à eux pour inciter toute la population à danser dans les rues et faire la fête. Il y a un chien joyeux, de la boue et des flaques d'eau, des maisons en pierre et un mât de Cocagne. Tout respire la primitivité bienheureuse. La musique, exécutée entièrement au synthétiseur, laisse espérer un futur où la technique et la tradition ne sont pas opposées.

Plus jeune, je croyais que les paroles de la chanson : "We can dance, we can dance / Everything is out of control" disaient en fait "We can dance, we can dance / Everything is under control". J'interprétais cela comme un commentaire ironique sur l'inanité de la fête dans un monde de surveillance et de limitation sournoise et grandissante des libertés réelles. Il s'avère finalement que c'est une chanson idiote qui ne parle que de la liberté de danser, au premier degré, mais peu importe, car les oeuvres d'art sont toujours plus vastes que les intentions de leurs créateurs. Et les dernières micro-secondes du clip vont dans mon sens, qui montrent des images d'archives en noir et blanc : un bombardier, des paysans, un missile balistique. Ce monde joyeux et primitif est aussi celui de la bombe H, où les traditions humaines les plus ancestrales et les plus civilisées n'ont plus le moindre sens face à la possibilité d'une annihilation totale de notre espèce en moins de deux heures. 

Voilà ce que cache la fête permanente organisée pour le bonheur du petit peuple, et ce petit monde régressif, ce monde-Potemkine : la domination absolue de la Technique et l'existence de maîtres qui, littéralement, planent loin au-dessus de la masse domestiquée. C'est l'histoire que raconte The Tripods. Et c'est l'histoire du monde réel ; notre passé et notre présent. Les fêtes, les danses, les tenues folkloriques pour mieux faire oublier la violence, la déshumanisation, la désertification spirituelle du monde, infligées par la Technique, sont l'une des caractéristiques du totalitarisme.

Le nazisme avait beau transformer l'Allemagne en décor de fête folklorique, il ne parlait rien d'autre que le langage de la Technique, de la machinisation du monde.

Le petit village décroissant de la série anglaise, c'est aussi le monde qui semble se dessiner pour la suite du XXIè siècle. Dépopulation et sobriété heureuse sous la surveillance des machines. Et surtout de leurs maîtres. Car derrière l'apparent règne aveugle et froid de la Technique (les énormes robots que pilotent les aliens dont on ne soupçonne pas l'existence au début), il y a, dans notre monde à nous, d'autres humains. Si étrangers à la plèbe qu'on peut facilement les qualifier d'extra-terrestres. Ils ne sont pas d'ici, ils ne sont "de" nulle part. C'est l'hyperclasse mondiale et mondialiste, le Parti intérieur de 1984, fait d'administrateurs internationaux, de grands patrons, de magnats de la presse.

Le Leviathan qui comme dans The Tripods finira bien par nous marquer au front comme le bétail que nous sommes.