Google Street Blues (français)

Il n'y a personne, ou presque, dans les rues, sur Google Street View.

On se demande comment ils font ; dans la vraie vie on a le sentiment de ne pas pouvoir être seul trente secondes. En tous cas on y est bien, dans ce double morne du monde. On y est enfin seul avec ses souvenirs, avec ses fantasmes.

Je marche sur Google Street View dans mes pas d'autrefois.

Je reconstitue mon itinéraire dans cette vie – au sens propre.

Je rends une dernière visite aux lieux que j'ai connu, à ce qui aura été le décor de ma vie ; aujourd'hui un décor vide, comme relégué dans les réserves d'un vieux théâtre. Les réserves silencieuses et immobiles du Temps.

Je reconstitue aussi les vies, les trajets, de ceux que j'ai croisés. J'essaie de voir par leurs yeux.

Chaque itinéraire est une biographie anonyme et cryptée.

De même que Borgès pourrait nous dire l'Univers est lui-même un labyrinthe, chaque vie est une dérive, à la Debord ; mais une dérive involontaire et inconsciente.

Il y a une lumière, une luminosité, presque une météo spécifique à Google Street View.

Qui me frappe à chaque fois.

Des ciels blancs qui ne promettent aucun au-delà. Une lumière neutre, pâle, la vraie lumière du souvenir, qui n'est ni la lumière aveuglante d'un ciel bleu d'été, ni un crépuscule doré automnal, mais la lumière laiteuse d'un ciel vide prêt à avaler le monde.

http://googlestreetsadness.blogspot.com