Hinterland (Juillet 2007 / July 2007)

J'ai repensé hier à une sortie scolaire que j'avais faite vers l'âge de seize, dix-sept ans. J'étais donc au lycée. Nous étions comme d'habitude partis en autocar. Je ne saurais plus dire ce que nous allions visiter ni où exactement ; c'était un genre d'écomusée, en Allemagne. Près de Friboug peut-être ? Je sais que j'ai visité cette ville à l'époque, même si je ne saurais plus dire ce qu'on y trouve.

Nous avons traversé, en car, une forêt immense, interminable ; il me semble maintenant que nous y avons passé des heures. C'était comme si cette forêt était le bout du monde et une frontière avec... autre chose.

Il y avait ensuite des champs ; une plaine droite, qui semblait toute aussi infinie. L’écomusée se tenait là, c'était un ensemble d'une dizaine de maisons en bois, manifestement vieilles de plusieurs siècles, que l'on pouvait visiter et où étaient exposés des objets quotidiens du temps jadis. Naturellement, personne n'y vivait plus. Cela m'avait semblé un immense gâchis : pourquoi ne pas profiter d'un tel cadre de vie, et s'y installer ?

J'avais quitté les lieux un peu mitigé, content d'avoir vu de belles choses mais frustré de savoir que je ne vivrai jamais dans un tel cadre, et que personne, d'ailleurs, ici, ne le ferait non plus. L'architecture contemporaine, fonctionnaliste et refusant l'idée même du Beau, m'a toujours répugné. La visite était finie, mes camarades et moi-même avions quartier libre pour acheter à la boutique de souvenir des cartes postales et autres marchandises ; avec un ami j'avais décidé de m'éloigner et d'explorer les environs. Les champs se poursuivaient jusqu'à un dénivelé très prononcé, je n'irai pas jusqu'à parler de ravin, car cela ne tombait pas à pic, mais il fallait tout de même emprunter des escaliers métalliques incrustés dans la roche pour descendre.

Le chemin débouchait sur un petit bois de bouleaux très espacés qui lui-même, au bout d'une centaine de mètres, menait à un autre village, exactement semblable au premier, à ceci près qu'il était habité. Ça ressemblait à ces émissions folkloriques ridicules à la télévision allemande, que nous captions, dans la maison de mes parents, puisque nous vivions près de la frontière. Les tenues typiques, le décor rural, l'impression générale de se retrouver dans une Allemagne éternelle, archétypale, où le temps s'est arrêté... 

Découvrir cette communauté humaine cachée, insoupçonnée, ce Hinterland vivant, qui survit secrètement à l'écart du monde moderne, qui fait tout l'inverse de ce qui semble raisonnable et souhaitable pour le commun des mortels, a été une expérience extrêmement forte, extrêmement émouvante pour moi. J'ai aussi réalisé que ce que l'on prend parfois pour une exception absolue et un vestige (l'écomusée) s'avère en fait n'être qu'un élément d'un ensemble insoupçonné, bien réel et bien vivant.

Yesterday I thought about a school trip I took when I was about sixteen or seventeen. I was in high school. We went by bus as usual. I can't remember what we were going to visit or where exactly; it was some kind of eco-museum in Germany. Near Freiburg perhaps? I know I visited that town at the time, although I can't remember what it was.

We drove through a huge, endless forest; it seems to me now that we spent hours there. It was as if this forest was the end of the world and a border with... something else.

Then there were fields; a straight plain, which seemed equally endless. The eco-museum stood there, a group of about ten wooden houses, obviously centuries old, which could be visited and where everyday objects from the old days were displayed. Naturally, no one lived there any more. It seemed to me a huge waste: why not take advantage of such a living environment and settle there?

I left the place a bit mixed, happy to have seen beautiful things but frustrated to know that I would never live in such a setting, and that no one here would either. Contemporary architecture, functionalist and rejecting the very idea of Beauty, has always repulsed me. The visit was over, my comrades and I had free time to buy postcards and other goods in the souvenir shop; with a friend I had decided to go away and explore the surroundings. The fields continued up to a very steep drop, I won't call it a ravine, as it wasn't a steep drop, but you had to take metal stairs embedded in the rock to get down.

The path led to a small wood of widely spaced birch trees which in turn, after a hundred metres or so, led to another village, exactly the same as the first, except that it was inhabited. It looked like those ridiculous folklore shows on German television, which we used to watch in my parents' house, as we lived near the border. The typical clothes, the rural setting, the general impression of being in an eternal, archetypal Germany, where time has stopped... 

Discovering this hidden, unsuspected human community, this living Hinterland, which secretly survives away from the modern world, which does everything the opposite of what seems reasonable and desirable for ordinary people, was an extremely strong, extremely moving experience for me. I also realised that what is sometimes taken for an absolute exception and a vestige (the ecomuseum) turns out to be only one element of an unsuspected, very real and very alive whole.