14 juillet / 14th of July

Je me souviens d'un 14 juillet, il y a longtemps ; j'avais entre 20 et 23 ans, puisque c'était quand j'étais à l'université. Je passais mes vacances d'été à sillonner la région en voiture, seul, fuyant ou au contraire cherchant quelque chose que j'aurais été bien en peine de nommer. Mais ce 14 juillet-là, je ne roulais pas au hasard ; j'avais rendez-vous avec mes parents, qui m'avaient fait inviter avec eux à un repas chez des gens que je ne connaissais absolument pas et qui vivaient dans un village perdu de la Meuse ; le genre de village dont on a aucune chance d'entendre parler si l'on a rien à y faire.

C'était comme souvent les villages lorrains une rue unique, bordée d'anciens corps de fermes mitoyens, assez bas. Une impression de délabrement et de pauvreté s'en dégageait. Le trafic automobile était absolument nul – il était midi et demi – et aucun passant ne se faisait voir dans la rue. Vers la fin de la commune, sur quelques centaines de mètres, les vieilles maisons cédaient la place à des pavillons plus récents, plus espacés, séparés par des pelouses et des haies ou des clôtures. Là aussi, aucun signe de vie. Aucun bruit, aucun mouvement. Le village tout entier, je l'avais noté en passant, était livré aux durs rayons du soleil, puisqu'aucun arbre n'était planté le long de la chaussée. Il n'y avait pas non plus de forêt au loin, ni aucun élément de décor agréable ou pittoresque ; seule la plaine, assez plate, et infinie. Tout cela donnait une impression déprimante de dénuement.

J'avais oublié l'adresse où je devais me rendre et, après m'être garé au hasard, j'avais passé vingt bonnes minutes à parcourir le village du début à la fin, deux ou trois fois – jusqu'à ce que ma mère, me voyant sans doute par une fenêtre, sorte d'une maison pour me faire signe. La maison était agréablement décorée, chaleureuse, accueillant une famille manifestement plutôt aisée sans rien avoir du vulgaire "nouveau riche". De nombreux autres habitants du village étaient là ; manifestement, ici, la notion de communauté était encore une réalité, on avait pas le moins du monde affaire à un village dortoir. On m'avait rapidement glissé une flûte de champagne dans la main (mais qui fête réellement le 14 juillet, au fait ? qui étaient ces gens pour qui tout cela a encore un sens ?) et j'avais passé finalement une agréable journée, me disant que si la nature aime à se cacher, la vie sociale, la vie communautaire aussi ; les campagnes ne sont peut-être pas aussi mortes et anonymes qu'on le pense quand on les traverse comme étranger.

Elles se protègent de nous, tout simplement.

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I remember one July 14th, a long time ago; I was between 20 and 23 years old, since it was when I was in university. I was spending my summer vacations driving around the region, alone, running away or on the contrary looking for something I would have been able to name. But on that July 14th, I wasn't driving at random; I had an appointment with my parents, who had invited me to a meal with them at the home of people I didn't know at all and who lived in a lost village in the Meuse; the kind of village you have no chance to hear about if you have nothing to do there.

It was, as is often the case in Lorraine villages, a single street, lined with old, low, adjoining farmhouses. An impression of dilapidation and poverty emanated from it. There was absolutely no car traffic – it was half past noon – and not a single passer-by could be seen in the street. Towards the end of the commune, for a few hundred meters, the old houses gave way to more recent pavilions, more spaced out, separated by lawns and hedges or fences. There too, no sign of life. No noise, no movement. The whole village, I had noted in passing, was given over to the harsh rays of the sun, since no trees were planted along the road. There was no forest in the distance either, nor any pleasant or picturesque scenery; only the plain, quite flat, and endless. All this gave a depressing impression of nakedness.

I had forgotten the address where I was supposed to go, and after parking at random, I had spent a good twenty minutes walking through the village from beginning to end, two or three times – until my mother, probably seeing me through a window, came out of a house. That house was nicely decorated, warm, and had a family that was obviously quite well-to-do, but not a "nouveau riche" family. Many other inhabitants of the village were there; obviously, here, the notion of community was still a reality, it was not at all a dormitory village. I had been quickly slipped a glass of champagne in my hand (but who really celebrates the 14th of July, by the way? who were these people for whom all this still makes sense?) and I had finally spent a pleasant day, telling myself that if nature likes to hide, so does social life, community life; the countryside is perhaps not as dead and anonymous as one thinks when one crosses it as a stranger.

They simply protect themselves from us.