Nous avons visité un peu nos régions natales et les villages d'où sont issues nos familles, ces derniers temps, faisant des détours et nous perdant volontairement comme pour un exercice collectif de psychogéographie rurale. Nous nourrissions également le fantasme de nous choisir un village, d'y trouver un gîte, et de nous y seuls, aux abonnés absents, pendant quelques jours ou quelques semaines.
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Il a fallu rapidement se rendre à l'évidence, tous ces villages sont morts. On n'y trouve plus de restaurant ni le moindre commerce, les rues sont vides de piétons, des voitures les traversent constamment et à toute vitesse, interdisant tout silence et donc tout repos, toute méditation ; accessoirement, photographier les maisons, les jardins, les calvaires, et jusqu'au simple fait de traîner dans les rues, vous attire sans délai les foudres de tel ou tel habitant qui sort de chez lui, scandalisé, pour vous demander ce que vous foutez là.
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La vie moderne, le monde contemporain, deviennent progressivement tellement insupportables, et nos propres vies si navrantes que s'impose en nous la nécessité d'une fuite mentale, à défaut de fuite réelle, dans une campagne mythique, secrète, merveilleusement arriérée, sombre, magique, fascinante.
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Nous sommes hantés par des images mentales de bergeries délabrées, de champs boueux, de murs en pierre mangés par la végétation, de villages reculés et misérables. Par des images de ciels gris, tantôt chargés de nuages lourds et métalliques, remplis d'orage, tantôt pâles et vides. Une France rurale, obscure, secrète, marquée par la décrépitude, le commerce avec le diable, le silence, la grisaille.
Les décors de nos balades solitaires d'adolescence. Les décors de nombreux jeux d'aventures auxquels nous avons joué ou que nous avons peut-être rêvés. Les décors de quelques vieux films français qui montrent un monde en voie de disparition à l'époque, et bel et bien disparus aujourd'hui.
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Nous rêvons de fuir le monde moderne et sa froideur, sa décadence, sa laideur, sa violence, son matérialisme... pour un Hinterland de songe romantico-poujadiste. Mais la vérité est qu'aujourd'hui les paysans regardent Youporn chez eux et écoutent Shakira dans leur tracteur. Qu'il n'y a plus la moindre vie conviviale, collective, communautaire, que la religion a déserté les lieux, que les bruits de moteurs sont partout, qu'il n'y a plus de peuple, plus de culture, plus rien.
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Plus rien à faire si ce n'est à arpenter le pays fantôme.
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Lately, we've been visiting our native regions and the villages our families came from, taking detours and getting lost on purpose, as if in a collective exercise in rural psychogeography. We also harbored the fantasy of choosing a village, finding a bed and breakfast there, and being alone, absent, for a few days or weeks.
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We soon had to face the facts: all these villages are dead. There are no restaurants or shops left, the streets are empty of pedestrians, cars are constantly speeding through them, preventing any silence and therefore any rest, any meditation; incidentally, photographing the houses, the gardens, the calvaries, and even the simple fact of hanging around in the streets, immediately draws the wrath of this or that inhabitant who comes out of his or her house, scandalized, to ask you what the hell you're doing there.
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Modern life, the contemporary world, is gradually becoming so unbearable, and our own lives so distressing, that we feel the need to escape mentally – for want of a real escape, for the time being – into a mythical, secret, wonderfully backward, dark, magical, fascinating countryside.
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We are haunted by mental images of dilapidated sheepfolds, muddy fields, stone walls eaten away by vegetation, remote and wretched villages. By images of gray skies, sometimes heavy and metallic, filled with storm clouds, sometimes pale and empty. A rural France, obscure, secret, marked by decrepitude, trade with the devil, silence and greyness.
The backdrop for our solitary adolescent strolls. The backdrops of the many adventure games we played or perhaps dreamed of. The backdrops of a few old French films that show a world that was disappearing at the time, and is well and truly gone today.
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We dream of escaping the modern world and its coldness, its decadence, its ugliness, its violence, its materialism... for a Hinterland of romantic-poujadist dreams. But the truth is that today's peasants watch Youporn at home and listen to Shakira on their tractors. That there's no longer any kind of convivial, collective, community life, that religion has deserted the land, that the sound of engines is everywhere, that there's no longer any people, no longer any culture, no longer anything.
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Nothing left to do but to wander the ghost country.