Adolescent, je me suis un jour introduit dans une maison. Elle se situait au bas de ma rue et bordait une place, ou plus exactement un terrain à moitié bétonné, l'autre moitié laissant pousser quelques arbres et des herbes hautes. Cette place était délimitée par un vieux mur, sur trois côtés, et cernée par des maisons et des jardins privatifs. L'une de ces maisons était particulièrement ancienne, à colombages, et surnommée depuis des temps immémoriaux « la maison du bourreau ». La légende voulait en effet qu'elle ait été la maison du bourreau de Jeanne d'Arc.
Elle semblait vaguement abandonnée ; elle n'était pas du tout en ruine mais avait quelque chose de silencieux, d'immobile, d'endormi, comme une maison de vacances, peut-être.
J'y suis entré par une après-midi d'été, avec une camarade d'école, Julia, avec qui j'avais gardé quelques relations lointaines. Nous savions (je ne saurai plus aujourd'hui dire comment) qu'une porte à l'arrière, donnant sur la cuisine, n'était jamais verrouillée.
J'avais le coeur qui battait la chamade, avec le sentiment de commettre une transgression plus grande qu'une simple effraction. Une transgression morale, voire métaphysique, que j'étais incapable de formuler précisément à mon jeune âge. Peut-être simplement étais-je attiré par le fait de commettre un interdit, attiré par l'idée même du crime, de l'effraction et du voyeurisme. Pas dans le but de faire du mal à quiconque, mais avec l'idée, informulée encore une fois, que tout au bout de la transgression m'attendaient des révélations, une richesse et une profondeur d'existence qu'une vie quotidienne bien réglée, bien honnête et respectueuse des lois et des convenances, ne permettait pas d'atteindre.
La maison n'était pas abandonnée du tout. Elle était richement meublée et pleine d'objets fascinants, bien propre et accueillante, chaleureuse, boisée. Je n'étais absolument pas surpris ; au contraire, c'était comme me retrouver face à une évidence, face à un décor, un spectacle, qu'obscurément je savais devoir rencontrer un jour. Une étape nécessaire dans ma vie, un archétype de maison qu'il me faudrait explorer tôt ou tard. Je déambulai avec Julia à travers les pièces en prenant mon temps, en m'arrêtant sur chaque bibelot ou vieux meuble, fasciné.
Je me souviens d'une longue table en bois, d'une cheminée, d'une cuisine au carrelage ocre avec des casseroles en cuivre, de toiles aux murs, bien encadrées, d'un épais canapé de cuir sombre ; je me souviens de poutres apparentes, de murs en grosses pierres, de coussins en tissu, de plantes grasses et de vieux livres, je me rappelle les corbeilles de fruits, l'étage avec ses chambres douillettes (il y en avait trois, manifestement une famille vivait là, les parents et à en croire la décoration, deux adolescents, garçon et fille).
Un Amstrad CPC 6128, des armoires anciennes, un escalier en bois, immémorial. Les siècles semblaient cohabiter ici en paix.
Il ne faisait pas sombre à proprement parler dans la maison mais la lumière du jour entrait par rayons doux, dorés, paresseux ; elle semblait comme ralentie, atténuée, respectueuse de la vie privée, de la tranquillité, de la paix des occupants, dont je me demandais à quoi ils pouvaient bien ressembler et quel genre de vie ils pouvaient mener en ces lieux. Leur existence, en même temps, me paraissait un peu incongrue, presque théorique et peu plausible ; la maison semblait faite pour rester silencieuse, immobile, comme un pur décor, une pure idée d'un paradis domestique qu'il ne fallait pas souiller par sa présence. Peut-être les habitants évitaient-ils de rentrer chez eux après avoir ressenti la même chose que moi ?
En sortant nous tombâmes nez à nez avec une femme à vélo ; la propriétaire des lieux. Julia prit la fuite. Mais la femme était souriante, comme amusée de nous avoir pris sur le fait et de posséder une maison capable de produire une telle attraction. Je lui racontai sans aucune réticence ni timidité mon exploration de son domaine intime. C'était comme lui raconter comment je lui aurais fait l'amour, à elle – j'étais incapable d'établir consciemment cette comparaison, à mon jeune âge, mais la situation me troublait de la même manière. La maîtresse des lieux, qui devait avoir une quarantaine d'années, paraissait le comprendre, avec intelligence et indulgence.
Je ne sais pas combien de temps nous étions restés dans la maison mais alors que je parlais à cette femme souriante, presque entièrement silencieuse, qui m'encourageait à poursuivre ma confession par son simple sourire, enfourchant encore sa bicyclette avec un pied à terre, je réalisai que le crépuscule tombait ; un crépuscule chaud et intense, qui dorait tout d'une lumière d'or, une lumière idyllique qui accentuait encore l'attirance que je ressentis pour cette femme plus âgée que moi avec qui je venais d'établir un lien plus intime que je ne l'aurais pu espérer ; une lumière paradisiaque ou luciférienne, je ne sais pas, mais qui signifiait secrètement, pour moi seul, que ma quête était une réussite.
*
As a teenager, I once broke into a house. It was at the bottom of my street and bordered a square, or more precisely a plot of land half concreted, the other half with a few trees and tall grass. This square was bounded by an old wall on three sides and surrounded by houses and private gardens. One of these houses was particularly old, half-timbered, and had been called "the executioner's house" since time immemorial. Legend has it that it was the house of Joan of Arc's executioner.
It seemed vaguely abandoned; it wasn't in ruins at all, but there was something silent, still, asleep, like a holiday home, perhaps.
I entered it one summer afternoon with a schoolmate, Julia, with whom I had kept some distant relations. We knew (I can't tell you now how) that a door at the back, leading to the kitchen, was never locked.
My heart was pounding with the feeling that I was committing a transgression greater than a simple break-in. A moral, even metaphysical transgression, which I was unable to articulate precisely at my young age. Perhaps I was simply drawn to committing a forbidden act, drawn to the very idea of crime, of breaking and entering, of voyeurism. Not with the aim of harming anyone, but with the idea, again unstated, that at the end of the transgression awaited me revelations, a richness and depth of existence that a well-regulated, honest, law-abiding daily life did not allow.
The house was not abandoned at all. It was richly furnished and full of fascinating objects, clean and welcoming, warm and woody. I was not at all surprised; on the contrary, it was like finding myself in front of an obvious setting, a spectacle, that I knew obscurely I had to meet one day. A necessary step in my life, an archetypal house that I had to explore soon or later. I wandered with Julia through the rooms, taking my time, stopping on each knick-knack or old piece of furniture, fascinated.
I remember a long wooden table, a fireplace, a kitchen with ochre tiles and copper pans, well framed paintings on the walls, a thick dark leather sofa; I remember exposed beams, thick stone walls, fabric cushions, succulents and old books, I remember the fruit baskets, the first floor with its cosy bedrooms (there were three, obviously a family lived there, the parents and from the decoration, two teenagers, boy and girl).
An Amstrad CPC 6128, old cupboards, a wooden staircase, immemorial. The centuries seemed to cohabit here in peace.
It wasn't dark, strictly speaking, in the house, but the daylight came in soft, golden, lazy rays; it seemed slowed down, muted, respectful of the privacy, the tranquillity, the peace of the occupants, whose lives I wondered what they might look like and what kind of life they might lead in this place. Their existence, at the same time, seemed to me a little incongruous, almost theoretical and implausible; the house seemed made to remain silent, motionless, like a pure décor, a pure idea of a domestic paradise that should not be defiled by its presence. Perhaps the inhabitants avoided going home after having felt the same way I did?
On the way out we came face to face with a woman on a bicycle; the owner of the place. Julia ran away. But the woman was smiling, she seemed amused that she had caught us in the act and that she owned a house capable of producing such an attraction. I told her without any reluctance or shyness about my exploration of her intimate domain. It was like telling her how I would have made love to her – I was unable to consciously make that comparison at my young age, but the situation disturbed me in the same way. The landlady, who must have been in her forties, seemed to understand this, with intelligence and indulgence.
I don't know how long we had been in the house, but as I spoke to this smiling, almost entirely silent woman, who encouraged me to continue my confession with her simple smile, still riding her bicycle with one foot on the ground, I realised that dusk was falling; a warm, intense twilight, which gilded everything in a golden light, an idyllic light which further accentuated the attraction I felt for this older woman with whom I had just established a more intimate bond than I could have hoped for; a heavenly or Luciferian light, I don't know, but which secretly meant, for me alone, that my quest was a success.