Sombre allégresse / Sinister joy

Je me souviens d'une balade à vélo, en famille, quand j'étais adolescent, par un temps automnal et sombre,  étrange. Ce genre de temps qui devrait être déprimant mais qui produit en réalité l'effet inverse ; une sorte de sombre allégresse. Nous nous étions arrêtés dans un troquet, avec mon père, pour attendre ma mère  et ma soeur, perdues en chemin. Le silence était presque total. Personne ne passait dans les environs. J'étais fasciné par ce silence et cette paix, sous ce ciel lourd et gris, qui m'était apparu alors comme le ciel qui convenait à notre région, à notre "race", pour des raisons que j'étais encore incapable de formuler.

J'ai beaucoup parcouru la même vallée, au fil des ans, longeant la rivière et les villages qui vivaient sur ses rives. Parfois à pied, mais le plus souvent à vélo. J'en ai beaucoup rêvé, aussi – et des lieux, et des vélos. Parfois dans mes rêves nous étions de larges groupes de promeneurs, une véritable communauté, qui s'enfonçait toujours plus loin dans cette zone rurale oubliée, paisible, préservée, tout au bout de laquelle se trouvait et se trouve toujours une ville thermale gallo-romaine dont les ruines sont visitables. C'était donc un voyage à travers et à travers le temps ; laissant la ville derrière soi, pédalant de toutes ses forces vers le passé, vers les origines, sous un ciel gris, orageux, électrique comme un cerveau bourdonnant de souvenirs qui veulent remonter à la surface de la conscience.

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I remember a bike ride with my family when I was a teenager in strange, dark autumn weather. The kind of weather that should be depressing but actually produces the opposite effect; a kind of sinister joy. My father and I had stopped at a village pub to wait for my mother and sister, who were lost on the way. The silence was almost total. No one was passing by. I was fascinated by this silence and this peace, under this heavy and grey sky, which appeared to me then as the sky that suited our region, our "race", for reasons that I was still unable to formulate.

Over the years, I have travelled a lot through the same valley, following the river and the villages that lived on its banks. Sometimes on foot, but most often on bicycle. I dreamt a lot about it, too – and the places, and the bikes. Sometimes in my dreams we were large groups of cyclists, a real community, going further and further into this forgotten, peaceful, unspoilt rural area, at the very end of which was and still is a Gallo-Roman thermal town whose ruins can be visited. So it was a journey through space and time; leaving the town behind, pedalling with all one's might towards the past, towards the origins, under a grey, stormy sky, electric like a brain buzzing with memories that want to come to the surface of the consciousness.